Volume 8, numéro 1
Réseaux et communautés de savoirs
partagés
Sous la direction d'Alain
Kiyindou.
Ce numéro de la revue Distances et savoirs s'inscrit dans
une réflexion en lien avec les problématiques du Sommet mondial sur
la société de l'information (Genève 2003 et Tunis 2005) autour des
questions d'éducation et de formation par les TIC dans le cadre de
la mondialisation et même d'une « société des savoirs
partagés»(1).
L'approche ainsi proposée insère la société de l'information dans
un cadre où la volonté de sortir des schémas de communication
classiques est nettement affirmée. Il s'agit, avant tout, de tenir
compte de l'autre et, d'éviter la logique diffusionniste pour une
conception plus dialogique. Nous pouvons rapprocher cette vision du
Joho Shakaï2, en ce qu'elle fait du kagaku, c'est-à-dire la
participation, un élément fondamental de la société. Dans la
conception du Joho Shakaï, le kagaku, reste la question
fondamentale car, le Joho, est ce qui forme l'homme. La société des
savoirs partagés est donc, avant tout, une société humaine. Elle se
nourrit de la diversité des hommes et de leurs capacités3. Ainsi,
le partage des savoirs, comme la formation à distance doit tenir
compte du fait qu'il existe d'autres manières de penser, d'exister
et de travailler que la manière anthropo-centrée et ratio-centrée
moderne. Cette reconnaissance donne lieu à la diversification des
contenus, c'est-à-dire à la cohabitation des contenus : «
classiques » (hégémoniques) et minoritaires, professionnels et
académiques, théoriques et pratiques, locaux et autochtones… Il est
donc intéressant, dans le cadre de ce numéro, de voir comment les
nouveaux dispositifs encouragent les processus et les pratiques
pour assurer l'accès à l'information et partager des savoirs ;
comment le web 2.0, la vidéo et bien d'autres médias participent au
partage des savoirs.
Les auteurs ont pris le parti de se démarquer « de la toute
puissante rationalité scientifique » pour intégrer les «
irrationalités ». La société des savoirs devient ainsi une société
- des sociétés - de savoirs différenciés. Une telle approche ne
peut faire l'économie de la vie, de la pratique, du fonctionnement
des communautés virtuelles tout en mettant l'accent sur la façon
dont les communautés et réseaux d'enseignants et d'apprenants
visent à renforcer l'accès aux savoirs. Il est aisé de constater
que l'interactivité est une caractéristique de ces nouveaux
processus et pratiques de communication du savoir. Au-delà des
possibilités techniques, la difficulté consiste à éviter le modèle
vertical de la formation. En effet, la question récurrente à tout
cadre collaboratif est l'implication personnelle de chacun,
étudiant et enseignant.
Les articles mettent en relief des politiques et des stratégies
qui sous-tendent les projets et programmes d'enseignement et
formation par les TIC. Elles touchent aux institutions
universitaires, aux modalités réelles de construction de la société
du savoir, au partage, aux logiques organisationnelles,
socio-culturelles, communicationnelles et normalisatrices. Le
niveau primaire est également présent, pour lequel Catherine
Dumoulin et Jacqueline Bourdeau présentent une étude de cas visant
à comprendre une autre complexité, liée à l'utilisation de la
vidéocommunication, et à analyser les comportements stratégiques
mis en œuvre par des élèves du primaire pour surmonter leurs
difficultés à communiquer à distance dans une situation
d'apprentissage interculturelle intégrant la
vidéocommunication.
La multiplicité des possibilités qu'ouvrent les technologies
numériques, sur le plan technique, en termes de
décomposition/recomposition des contenus, d'archivage et de mise en
mémoire, de modes de communication synchrone et asynchrone, de
diffusion à large échelle et à coût faible etc., ont une portée
inédite dans le champ des institutions éducatives. Mais la
virtualisation de l'enseignement n'est pas sans conséquences. En
effet, dans leur rôle éducatif les institutions de formation ont
mis en place des espaces de formation en ligne dont les évolutions
sont perceptibles. L'analyse des fonctionnalités des dispositifs
techniques permet de repérer quelques démarches : des accès vers
les portails ou les bibliothèques virtuelles des services communs
de documentation des universités, la création de bases de
connaissances partagées ou de réservoirs de ressources alimentées
par les formateurs. A côté de ces structures centralisées, se
développent de plus en plus des plates-formes collaboratives de
production de connaissances. Elles rompent avec les approches
traditionnelles de l'apprentissage c'est-à-dire de l'émetteur «
expert » qui informe des cohortes d'apprenants dit « en attente de
connaissances ». Le savoir collectif produit par ces réseaux
participatifs est implicitement pensé comme un substitut possible
du savoir diffusé dans le cadre des institutions éducatives ou
éditoriales. María Elena Chan Núñez, notamment, aborde ces
questions en espagnol, langue du contexte de son étude.
La multiplication des blogs - et Véronique Temperville analyse ici
le cas précis des blogs d'universitaires - vient renforcer les
dispositifs de formation classiques. Cette nouvelle forme de
diffusion et de publication pallierait à des carences
institutionnelles et pourrait être considérée dans cette
perspective comme un doublement ou un contournement des formes
classiques de communication à l'intérieur des communautés
scientifiques (pages personnelles, listes de diffusion, sites
institutionnels etc.). Pourtant, on note un décalage entre les
perceptions, les usages et les contenus. D'un côté, de l'ignorance,
de la méfiance, voire de la défiance, de l'autre, une prolifération
de sites personnels offrant les plus grandes variétés de contenus.
Mais quelles sont les limites de ce moyen d'expression ?
La première limite est sans doute liée à la complexité des
dispositifs d'apprentissage, et sans doute de la technologie
elle-même. En effet, l'apprentissage via des dispositifs
technologiques nécessite de savoir trouver des réponses aux
questions que l'on se pose dans un univers conceptuel complexe, qui
n'est pas structuré et stable comme un livre, et de pouvoir trier
et synthétiser les informations obtenues. La maîtrise de
l'information numérisée requiert donc l'acquisition et la
mobilisation d'une série de compétences numériques spécifiques.
Mais la compétence la plus difficile à acquérir est sans doute la
capacité de gérer l'incertitude, puisque l'incertitude est la
caractéristique principale de la formation à distance. A la
difficulté d'acquérir la connaissance, s'ajoute l'imprévisibilité
du parcours imposé, parcours qui obéit à la fois à la logique des
producteurs de contenus mais aussi à la technologie qui leur sert
de support. Toutefois, si ces entraves sont réelles, elles ne
constituent pas des entités insurmontables.
Les auteurs ont trouvé intéressant d'analyser les conditions de
production et de circulation - pour ne pas dire partage - de ces
savoirs. Or l'une des caractéristiques de la société actuelle est
la marchandisation accrue de la connaissance. Cette marchandisation
s'appuie sur un système qui lui est favorable au vu de la
réglementation internationale. On s'aperçoit donc que les questions
de formations à distances, le fonctionnement des communautés
organisées en réseaux matériels et immatériels ne sont pas exempts
de rapports de pouvoir générateurs d'inégalités. Comment envisager
la formation en dehors de toute forme de manipulation et
d'aliénation ?
En effet, si on considère que la manipulation tout comme
l'aliénation conduit à une perte de liberté, la confusion mentale
que peuvent entraîner des informations non adaptées à
l'environnement du récepteur ni à sa capacité mentale est
susceptible de provoquer un déséquilibre dans le processus de
formation. Le contexte joue un rôle important dans la construction
du sens et donc, dans l'appropriation des contenus diffusés. Mais
l'on s'aperçoit très vite, dans la production de ces contenus,
qu'il est très difficile de prendre en compte les contextes variés,
culturels, économiques ou autres, dans lesquels se situent les
destinataires, ce dont témoignent Christiane Sanou et Alexis
Dembele dans le cas du Mali, où parole, langue et style oraux sont
privilégiés.
Au-delà de ces contraintes, il convient de repenser le rôle de
l'enseignant dans ces dispositifs de formation. De l'expert, il
devient le guide. Il crée des situations qui permettent la
construction des connaissances. Or, ce type d'approche, davantage
centré sur la construction active de connaissances et l'autonomie
des apprenants, n'est pas tellement répandu dans nos systèmes
éducatifs. De même, il convient de transformer la diversité
culturelle en opportunité, puisque les apprenants se nourrissent,
chacun, des expériences des autres, ce que Carsten Wilhelm aborde
en étudiant les interactions interculturelles dans des dispositifs
de communication à distance à caractère international.
Un champ d'étude s'ouvre à nous, celui des processus de
co-construction mais aussi celui des motivations et incitations des
contributeurs. Il est intéressant de comprendre comment le savoir
participatif aide à la résolution des problèmes de formation et aux
préoccupations individuelles. La place de l'usager dans l'analyse
des dispositifs devient, de ce fait, centrale. Quelles sont les
stratégies mises en œuvre par les apprenants pour surmonter les
difficultés liées au dispositif d'apprentissage ? Comment les
civilisations dites de l'oralité s'approprient-elles ces nouveaux
outils ?...
Alain Kiyindou
Laboratoire CRESS - Université de Strasbourg
1. Terme utilisé par Adama Samassekou lors des débats du 2e
Colloque des trois espaces linguistiques « coopération, diversité
et paix », tenu à Mexico du 2 au 4 avril 2003. Pour le Président du
Bureau du SMSI, « il s'agit moins d'une information qui se diffuse
et se partage, que d'une société où nous sommes en train de
communiquer autrement et de partager un savoir. Il s'agit donc
d'une société du savoir partagé et de la connaissance ».
2. Jean-Marie Bouissou et al., « Regards prospectifs sur le Japon
», Futuribles, n° 216, janvier 1997, p. 48.
3. Alain Kiyindou, Les pays en développement face à la société de
l'information, Paris, L'Harmattan, 2009.
Avant-propos
- MARTINE VIDAL, MONIQUE GRANDBASTIEN, PIERRE MŒGLIN
Introduction
De l'usage des blogs à l'université.
Quelques considérations.
- VERONIQUE TEMPERVILLE - Some reflections on the uses of weblogs
in university settings.
Appropriations des savoirs et
formation à distance par les radios locales. Le cas du
Mali
- CHRISTIANE SANOU, ALEXIS DEMBELE - Appropriations of the
knowledges and the distance training by local broadcastings. The
case of Mali.
Investigación y desarrollo de
ambientes virtuales de aprendizaje. El caso del Sistema de
Universidad Virtual en Guadalajara, México.
- MARIA ELENA CHAN NUÑEZ - Research and development of virtual
learning environments. The case of a virtual university system in
Guadalajara
Varia - Emergence d'une culture
communicationnelle au sein d'un dispositif international en ligne.
Distances géoculturelles et proximité axiologique.
- CARSTEN WILHELM - The emergence of a communication culture in
an international online setting. Geo-cultural differences and
axiological proximity.
La vidéocommunication au
primaire
- CATHERINE DUMOULIN, JACQUELINE BOURDEAU - Videocommunication at
primary school level.
THESOGRAPHIE
Point de vue
Ce que l'on doit penser de
l'enseignement par correspondance.
- JACQUES WALLET - What one is to think of correspondance
coures.
Références internationales
- Journal of Asynchronous Learning Networks